C’est quoi un tournage éco-responsable ?

Le besoin d’incarner mes valeurs écologiques.

Avant de parler d’éco-tournage, voici le parcours qui m’a conduite à m’y intéresser. J’ai toujours eu une sensibilité écologique et un profond respect pour le vivant. Les films qui me touchent sont ceux qui partagent cette empathie. Planète Pro·G est née d’une expérience de dissonance cognitive croissante entre les valeurs portées à l’écran et celles incarnées par les structures culturelles. J’ai eu besoin de m’aligner à mes valeurs. Ma première démarche a été celle de me former.

De la Fresque du climat à la transition écologique

En 2022 je découvre la Fresque du climat qui présente les causes et conséquences du réchauffement climatique. Je me forme pour l’animer à mon tour. De cette fresque sont nées d’autres animations plus ciblées, basées elles aussi sur l’intelligence collective : J’expérimente la Fresque du numérique, la Fresque des déchets, la Fresque du bien être animal… Je démarre ma transition écologique en créant Planète Pro·G. Je choisis une banque écologique qui elle-même finance la transition. Je sélectionne mes fournisseurs et je créé mon site internet en appliquant les usages numériques responsables (tant que possible et dans la limite de mes compétences informatiques !).

En me rapprochant de ceux qui font le cinéma, je découvre des sensibilités communes

Je ressens un besoin fort de me rapprocher des acteurs de la filière du film. La médiation culturelle est en bout de ligne, et la rencontre humaine est ce qui m’anime avant tout. Je contacte des distributeur·ices pour débusquer les films qui incarnent les valeurs que je partage. J’échange avec des réalisateur·ices lors d’avant-premières ou via les réseaux sociaux.

En mai 2023 je découvre l’existence de la Ressourcerie du Cinéma à Montreuil. J’appelle Karine D’Orlan de Polignac, sa cofondatrice, qui me propose un déjeuner et une visite sur site à Montreuil. La Ressourcerie est un lieu magique où les décors de multiples productions sont stockés pour permettre leur réemploi. J’y rencontre Isabel Hébert qui me parle de Charles Gachet-Dieuzeide, cofondateur de Flying Secoya.

La Fresque du film, un outil dédié à la filière du cinéma et de l’audiovisuel

Charles Gachet-Dieuzeide a co-développé la Fresque du film avec Juliette Vigoureux (La Base) et Fanny Valembois (le Bureau des Acclimatations). Il y a justement une session le lendemain matin à Paris. Clin d’œil de la vie, l’animation a lieu à l’ESAT Bastille (Établissement et Service d’Aide par le Travail de l’association Les ailes déployées), un lieu incroyable dédié à la santé mentale, avec un restaurant inclusif et des salles sublimes à la location.

Pour moi qui développe un projet Cinéma et handipositivité, me former à la Fresque du film dans ce lieu est une expérience pleine de sens. Parmi les participants lors de cette Fresque du film -exclusivement dédiée aux professionnels de la filière, il n’existe pas de version grand public-, je rencontre Anne-Thaïse Foucard.

Anne-Thaïse, éco-manageuse chez Secoya accompagne les projets audiovisuels dans leur démarche RSE

Nous nous retrouvons lors d’un webinaire sur le label qu’a développé Ecoprod. Anne-Thaïse m’aide à y voir plus clair dans les dispositifs et enjeux de la Production Responsable.

Le CNC a mis en place une « éco-conditionnalité » de ses aides financières à la fourniture d’un double bilan carbone des œuvres, dans le cadre du Plan Action! Les producteurs d’œuvres cinématographiques (longs et courts métrages) et d’œuvres audiovisuelles (séries et unitaires), appartenant au genre de la fiction et du documentaire, devront fournir un bilan carbone des œuvres au moment de leurs demandes d’aides.

Les productions peuvent aller plus loin encore en se faisant accompagner pour faire labelliser leur film. Deux labels viennent récompenser les productions qui s’engagent dans la transition. Le premier est celui d’Ecoprod, le second est proposé par Flying Secoya.

Ecoprod, collectif créé en 2009, est devenu une association depuis deux ans et rassemble des acteurs de l’audiovisuel et du cinéma. Ses membres fondateurs sont Audiens, le groupe Canal +, la CST (La Commission supérieure technique de l’image et du son), Film Paris Région, le groupe France TV et le groupe TF1, soutenus par le CNC.

Flying Secoya est une entreprise de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS), agence de conseil spécialisée dans l’application de stratégies RSE appliquée au monde de l’audiovisuel, du cinéma et de la publicité. Elle est créé en 2018 par Charles Gachet-Dieuzeide et Mathieu Delahousse.

1- le calculateur carbone

Les productions audiovisuelles et cinématographiques représentent 1,7 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère chaque année. (Données Ecoprod étude de 2020)

Les deux structures proposent chacune un calculateur carbone. Ils permettent de faire le bilan des émissions de gaz à effet de serre (GES) produites par une œuvre audiovisuelle, cinématographique ou publicitaire.

Le Carbon’Clap a été créé par Ecoprod en 2012. Une nouvelle version sera présentée aux assises de l’éco-production le 12 décembre à l’Académie du Climat. Secoya propose le Seco2. Les deux outils sont homologués par le CNC et accessibles gratuitement.

Il permettent d’évaluer l’empreinte carbone liée à la production et d’identifier les postes les plus émetteurs. Ils orienteront ensuite les choix et stratégies pour éviter et réduire les émissions de gaz à effet de serre.

2-La labellisation

Les labels identifient spécifiquement des œuvres, ils ne s’étendent pas aux sociétés qui les produisent. Il n’existe pas à ce jour de label pour l’animation pour le moment, seulement pour la prise de vue réelle.

Ecoprod mise sur l’aspect environnemental

Ecoprod propose un outil de pilotage stratégique qui permet d’obtenir le label dont la certification AFNOR est financée par L’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (Ademe). Tous les points sensibles de la production vont être passés au crible, voici quelques exemples.

La restauration: Privilégier des producteurs locaux , diminuer les quantités de viande, recycler les déchets, remplacer les bouteilles d’eau par des gourdes…

Les transports : Le train remplace l’avion pour déplacer les équipes, les lieux de tournages locaux sont privilégiés tant que possible.

Les HMC (Habillage maquillage coiffure) : Les produits bio sont favorisés, les habilleur·euses sont incité·es à se fournir dans des ressourceries ou en seconde main…

Les décors seront recyclés et les effets spéciaux VFX viendront économiser des décors plateaux couteux et peu réemployables en les reproduisant virtuellement.

L’énergie sera modérée, les groupes électrogènes au fuel remplacés par des modèles à accumulateurs, le branchement sur le secteur privilégié ainsi que l’éclairage aux leds ou même l’éclairage naturel grâce à des réflecteurs en polystyrène recyclable.

Sécoya étend la démarche à l’impact social

Lorsque Charles Gachet-Dieuzeide et Mathieu Delahousse, tous les deux issus de la régie, assistent à la projection du film Demain de Cyril Dion, c’est un vrai déclencheur. Inspirés par les solutions développées par les pionniers qui réinventent l’agriculture, l’énergie, l’économie, la démocratie et l’éducation au travers du documentaire, ils s’interrogent sur leurs propres pratiques professionnelles.

Ils créent Secoya qui deviendra Flying Secoya. L’entreprise s’est engagée à étendre sa démarche sur l’impact environnemental à la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) et accorde une grande attention à divers thèmes sociaux tels que l’inclusion, la lutte contre les violences, la parité homme-femme, etc. Trois postes d’éco-manageurs/manageuses ont été créés. Anne-Thaïse, en plus d’y être éco-manageuse, est spécialisée sur l’Inclusion et la diversité. Il n’y a pas de hasard dans les rencontres !!

Et pour les productions qui valident les 2O critères, Flying Secoya propose le Secoset, un label plus élargi qui garantit une PRODUCTION RESPONSABLE engagée et inclusive. ****Il ****définit une stratégie éco-responsable sur mesure, concrète et cohérente, en se basant sur « Les 10 thématiques pour une Production Responsable ».

En principe les éco-manageur·euses n’interviennent pas sur le scénario.

Tempête de Christian Duguay relate l’histoire de Zoé qui, après une chute de cheval à la suite de laquelle elle perdra l’usage de ses jambes, poursuivra son rêve de devenir Jockey. Lorsque la production fait appel à Flying Secoya, le personnage principal du film devait être un jeune garçon. Secoya, sensible à la représentation des femmes à l’écran, a proposé de le remplacer par un personnage féminin.

Anne-Thaïse évoque aussi le placement de produit éco-responsable ! Secoya s’est ainsi tournée vers une banque éco-responsable, le Crédit Coopératif, pour lui proposer un partenariat.

Le mouvement prend de l’ampleur

Le métier d’éco-manageur·euse se développe.

A Better prod, entreprise à mission fondée en 2022 par Alison Begon, propose également du conseil en production audiovisuelle responsable et bientôt un outil pour faciliter la collecte de données sur le terrain.

Alison Begon, issue de la direction de production a souhaité apporter plus d’éco-socio-responsabilité dans son métier. Elle se forme à l’évènementiel responsable, seule formation alors existante qui se rapproche de son activité. Elle se spécialise dans la transition environnementale et le conseil RSE auprès des productions audiovisuelles, en les accompagnant dans la mise en place de process et méthodes de travail éco-socio-responsables. Alison intervient également auprès des acteurs majeurs du secteur comme Ecoprod, en tant que consultante formatrice et développe des outils dédiés à l’éco-socio-production.

Avant de rejoindre A Better Prod en 2023 en tant qu’Impact Manager, Marie Azancot est aussi sur les tournages en tant qu’éco-référente. Elle accompagne les équipes dans la transition écologique de leur poste et collecte les données nécessaires à l’établissement du bilan carbone. Elle parle avec authenticité et passion de ses missions dans le podcast 507h de Laurie Ravaux Zimmeyer. Marie se frotte parfois à des résistances qu’il faut savoir accueillir. Selon elle, il faut faire ce que l’on peut, avec ce qu’on a, l’important est de participer à la transition. Le poste est nouveau, les productions et les équipes ont aussi besoin de s’adapter à cette nouvelle présence sur le terrain.

Le sujet s’étend aujourd’hui aux autres branches de la production audiovisuelle : Rémy Dupont a fondé OptiCarbO qui accompagne la branche de production Corporate (institutionnel, commercial, formation, etc.) à lancer sa transformation environnementale de manière volontaire avant d’y être contraint par les exigences RSE de plus en plus nombreuses des donneurs d’ordre.

La formation professionnelle s’organise

En 2021, La Commission Paritaire Nationale Emploi et Formation (CPNEF) de l’audiovisuel a créé un Certificat de Compétences Professionnelles (CCP) pour déployer une démarche écoresponsable dans sa pratique professionnelle, au sein d’un projet audiovisuel.

Cette certification professionnelle permet d’uniformiser plus d’une quinzaine de compétences. C’est la voie nécessaire pour que l’éco-production devienne demain un métier reconnu de la chaîne de fabrication cinéma & audiovisuel.

L’émotion est un déclencheur, la formation est un outil

Les films sont porteurs d’émotion et peuvent être de véritables déclencheurs permettant un passage à l’action, comme l’a été Demain pour les créateurs de Secoya. Je crois énormément à l’importance des récits et leur capacité d’inspiration.

La Fresque des nouveaux récits

En Août 2023 je co-organise avec l’association 8 Vies pour la Planète de Saint-Chamas (13) La Fresque des Nouveaux récits, et invite Astrid du Petit Thouars à l’animer. Cette animation met en évidence l’influence des récits sur notre cerveau et nos comportements et permet de lever les verrous socio-cognitifs actuels qui nous maintiennent dans le statu quo. Elle aide à construire les récits d’un futur souhaitable afin de contribuer à la nécessaire transition écologique et solidaire.

Complémentaire à la Fresque du Numérique, elle me faisait de l’œil depuis un moment, car elle interrogeait le fond cette fois, et non plus la technique. Elle renforce l’idée que je souhaite travailler avec des films aux scénarios authentiques et positifs, les rendant ainsi inspirants pour une transition heureuse.

L’incarnation par le changement de ses pratiques doit précéder la sensibilisation

Lorsqu’ils sont éco-produits, les films incarnent les valeurs qu’ils portent à l’écran. Cela me paraît une démarche à la cohérence optimale. Je m’enquiert donc de connaître ces films mais j’apprendrai qu’il n’est pas toujours simple d’obtenir une liste des films éco-produits. Les productions restent encore parfois discrètes sur leur démarche, de peur d’être accusé de greenwashing notamment.

Anne-Thaïse me cite quelques-uns d’entre eux : Le Règne Animal ou Acide, deux climate fictions mises en lumière au Festival de Canne. Poly de Nicolas Vanier, adapté du célèbre feuilleton ou encore Gagarine réalisé par Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, qui gagnerait tellement à être mieux connu car il met en lumière avec tant de poésie la jeunesse de la banlieue parisienne.

Stéphane Cazes, un réalisateur qui incarne ses valeurs

J’ai la chance d’assister à l’avant-première du film Les têtes Givrées de Stéphane Cazes qui a également été accompagné par Secoya. Le film suit la lutte d’un prof de Segpa et ses élèves pour sauver les glaciers. Le sujet se prête particulièrement à un tournage éco-responsable !

Stéphane a un retour très positif sur cette expérience : On a fait attention à tous les niveaux, aidés par l’entreprise Secoya. On mangeait local, bio et zéro déchet. On a favorisé des costumes de marques françaises et/ou éthiques, les lampes à basse consommation, le maquillage bio, la déco était recyclée… On a privilégié les vélos et voitures électriques pour se rendre sur le plateau. Et pour l’empreinte carbone restante, Bonne Pioche Cinéma a versé une compensation carbone à Mountain Riders, une association d’éducation à la transition écologique et particulièrement à leur projet Montagne Zéro déchets. A travers la création d’outils pédagogiques, et l’organisation d’opérations de ramassage des déchets, ils incitent à passer à l’action pour nettoyer et préserver nos montagnes des déchets. Si toutes les entreprises de France s’inscrivaient dans cette démarche, on vivrait dans un autre monde…

Un film associé à une formation, et à l’incarnation des valeurs de la RSE peut initier un cercle vertueux !

La projection d’un film sur l’environnement, couplée à un atelier tel que la Fresque du climat pour votre public ou vos équipes, ainsi que le partage de l’expérience de tournage éco-responsable pour ceux déjà engagés dans cette voie, en plus de mon expérience personnelle de transition, peuvent semer les graines d’un réel changement de comportement.

Les émotions jouent un rôle déclencheur, la formation représente un outil essentiel. Incarner ses valeurs et avoir modifié ses pratiques contribue à renforcer la sensibilisation. Le partage de ce cheminement avec authenticité, en évoquant ses moments de doute, les difficultés techniques rencontrées, et les victoires heureuses rendent inspirante la transition effectuée.

Vous avez envie de co-créer une séance sur un film qui vous tient à cœur ? Contactez-moi et suivez-moi sur mes réseaux !

Un immense merci à Anne-Thaïse Foucard (Flying Secoya), Marie Azencot (A Better Prod), et Rémy Dupont (OptiCarbo) pour leur relecture.

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